vendredi 13 août 2010

"Une banalisation tranquille de la vieille xénophobie du quotidien"

Article paru dans le MONDE du 06.08.10

Le président de la Ligue des droits de l'homme, Jean-Paul Dubois, fustige la rhétorique gouvernementale sur la sécurité, mais aussi le manque d'initiatives à gauche.

"Une banalisation tranquille de la vieille xénophobie du quotidien"



Avec trente autres associations, la Ligue des droits de l'homme (LDH) appelle à un rassemblement, le 4 septembre, contre la politique sécuritaire du gouvernement et à signer une pétition "contre la xénophobie et la politique du pilori". Jean-Paul Dubois, son président, fustige la rhétorique du gouvernement, mais aussi l'inaction de la gauche.


Comment interprétez-vous le sondage IFOP disant qu'une nette majorité de Français adhère aux mesures sécuritaires proposées par Nicolas Sarkozy ?


Jean-Pierre Dubois :

Cela ne me fait pas plaisir, mais ce n'est pas une surprise pour autant. Lorsqu'on appuie ainsi sur la pédale des préjugés, c'est logique qu'ils ressortent. Ce type de discours marche à tous les coups. Beaucoup de gens sont perdus : cela fait 30 ans qu'on leur parle d'une "invasion" des étrangers. Valéry Giscard d'Estaing a employé cette expression en 1978 ! Mais parmi ces gens qui répondent "oui" aux propositions de Sarkozy, beaucoup se font avoir et changeront d'avis.

Vous appelez à manifester le 4 septembre contre les mesures du gouvernement. Ce sondage vous fait-il craindre pour le succès de ce rassemblement ?

Jean-Pierre Dubois :

Nous avons l'habitude. Pendant la guerre d'Algérie, la LDH se battait contre la torture, alors que 80 % des Français y étaient favorables. C'est vrai qu'il y a une "lepénisation des esprits", pour reprendre les termes de Robert Badinter. C'est le résultat d'un sale travail, fait par des gens qui, je l'espère, doivent avoir du mal à se regarder dans la glace. On est dans un paradigme qui consiste à répondre systématiquement "il faut taper, il faut exclure".

Y a-t-il un échec du Parti socialiste à répondre aux questions de sécurité ?

Jean-Pierre Dubois :

Il est certain que pour le moment, la gauche n'a rien à dire sur la délinquance, sinon "on a été naïfs" ou "on ne sait pas quoi faire". En privé, des dirigeants de gauche n'hésitent pas à admettre que la droite est meilleure sur ces questions, ce n'est pas normal ! Les socialistes ont trop surfé sur l'opinion au lieu d'avoir de vraies initiatives. Il faut dire la vérité sur la délinquance en banlieue.

Ce que disent les gens réalistes sur ces questions, ce n'est pas non plus ce que dit la droite. La vérité, c'est que nous avons échoué. Et qu'il faut réfléchir aux raisons de la violence, de la délinquance. Ce n'est pas être angéliste que de dire cela, c'est tout simplement garder les yeux ouverts. On ne peut pas taper sans cesse sur les effets sans se pencher sur les causes. L'opposition devrait revenir aux réalités sur ces questions. La gauche a perdu les quartiers populaires depuis les années 1980.

Peut-on parler d'une remontée de la xénophobie en France ?

Jean-Pierre Dubois :

C'est difficile à dire, les choses sont plus contrastées. Il n'y a pas de vague raciste, mais une hausse du fait d'assumer tranquillement le fait de ne pas aimer telle ou telle catégorie de population. C'est le retour du langage de Dupont-Lajoie. Il faut dire que cette rhétorique est présente au sommet de l'Etat.

Nous avons un gouvernement de beaufs, avec un langage de beaufs, à l'instar de Brice Hortefeux qui nous dit tranquillement que c'est vrai que les gens du voyage ont de grosses Mercedes, comme s'il était au comptoir du bar du coin. On ne risque pas une explosion raciste, mais une banalisation tranquille de cette vieille xénophobie du quotidien. Et les politiques et les intellectuels en porteront la responsabilité

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